HDR: Résumé
Interaction et usages
des modalités non visuelles,
accessibilité des contenus complexes
par Dominique Archambault
Le besoin d’accessibilité est de plus en plus prégnant dans nos sociétés, et l’accessibilité réelle progresse de façon indéniable dans différents domaines, quoique très lentement. Dans la société numérique, les “nouvelles” Technologies de l’Information et de la Communication portent en elles l’espoir de progrès formidables en matière d’accessibilité. D’ailleurs Tim Berners-Lee, inventeur du Web, voulait dès sa création “mettre le Web et ses services à la disposition de tous les individus, quel que soit leur matériel ou logiciel, leur infrastructure réseau, leur langue maternelle, leur culture, leur localisation géographique, ou leurs aptitudes physiques ou mentales”. Cet objectif s’étend à nos yeux bien au delà du web et englobe toute l’information numérique. Malheureusement la grande vitesse de développement des TIC laisse peu de place à la réflexion sur leur accessibilité, et les acteurs impliqués se focalisent sur les interfaces-utilisateur dominantes, augmentant ainsi la fracture numérique.
Notre activité se situe dans l’étude des modèles informatiques permettant de tirer parti de ces technologies pour améliorer l’accès de tous à la société numérique, et dans l’intégration des principes de ces modèles spécifiques dans les modèles utilisés pour les applications grand public, ce qui peut être une façon de définir le terme “accessibilité numérique”.
Si les documents électroniques sont aujourd’hui prévus pour être utilisés dans le cadre d’interfaces multimodales, il s’agit bien souvent d’interfaces spécifiques à l’application et non à l’utilisateur et auxquelles ce dernier doit s’adapter (la plus courante étant bien sûr écran/clavier/souris). L’utilisation de modalités alternatives non visuelles comme le braille, la synthèse vocale ou des interfaces tactiles nécessite une conversion de modalités qui pose bien souvent des problèmes, dus en particulier au fait que les modèles de représentation de données sont trop souvent liés aux modalités principales utilisées.
Pour pouvoir exploiter pleinement le potentiel offert par les interfaces non visuelles, nous travaillons sur des modèles de représentation indépendant des modalités, qui permettent d’adapter l’interface aux besoins de l’utilisateur, en particulier à ses capacités visuelles. Les déficiences visuelles sont multiples et parfois liées à des troubles divers (cognitifs, communication, moteurs, auditifs). Les modalités non visuelles ont néanmoins deux points communs très forts : leur aspect éminemment linéaire, et leur incapacité à offrir une perception globale. Notre objectif est de développer des outils qui s’adaptent automatiquement à l’utilisateur, en fonction de ses spécificités. D’abord bien sûr en fonction des modalités qu’il utilise, mais aussi en fonction de ses compétences, notamment dans le cas des enfants. Cette adaptabilité est rendue nécessaire dans le cas d’une utilisation pédagogique : adaptation à la progression, aussi bien dans les disciplines scolaires que dans l’utilisation des outils. Elle l’est plus encore dans le cas d’une utilisation éducative avec de très jeunes enfants ou des enfants ayant des difficultés supplémentaires (cognitives, de communication, d’éveil), pour lesquels il est important de les faire entrer dans une dynamique de progrès.
Les travaux présentés dans ce mémoire concernent donc l’accessibilité numérique, et en particulier l’accessibilité à des contenus que nous appelons complexes car ils sont structurés et/ou composites, et constitués d’éléments de différentes natures. Les domaines d’application que nous avons étudiés sont les sites Web, les expressions mathématiques et les jeux vidéo. Après une introduction et une présentation du contexte, dans laquelle nous nous attachons à décrire un certain nombre de problèmes concrets touchant à l’accès à des contenus complexes, ainsi que l’état de l’art de ce domaine, nous présentons dans le mémoire une sélection de travaux organisés autour de 4 parties complémentaires, chacune d’entre elles correspondant à un ou plusieurs de nos domaines d’applications. La première partie concerne les interfaces utilisateurs adaptées, permettant de tirer au mieux partie des modalités spécifiques utilisées par les personnes handicapées visuelles. La seconde partie s’attache aux outils collaboratifs transmodaux, c’est-à-dire permettant la collaboration autour du même contenu entre personnes utilisant des modalités différentes, afin d’échanger, de travailler ou de jouer ensemble. La troisième partie décrit des outils de transcription que nous avons développé permettant de convertir des contenus formatés pour une modalité donnée dans des modalités alternatives. Enfin dans la quatrième partie, nous présentons une réflexion sur des modèles de représentation accessibles, c’est-à-dire des modèles contenant l’information nécessaire à la présentation des contenus selon différentes modalités, capables donc de faire fonctionner les interfaces spécifiques et/ou collaboratives présentées dans les deux premières parties, en utilisant si nécessaire les outils de transcription présentés dans la troisième partie. Cette réflexion doit être menée conjointement aux travaux actuels sur les standards de représentation de scenarii multimédia et de documents scolaires. Dans le domaine des jeux vidéo nous tentons d’étendre les résultats obtenus dans le projet TiM sur l’étude des interactions de type jeux vidéo et leur adaptation aux modalités non visuelles, afin de proposer un modèle de framework d’accessibilité permettant de créer des jeux accessibles à tous ; c’est-à-dire des jeux que les utilisateurs de modalités alternatives pourront utiliser, fût-ce au travers d’interfaces de jeu spécifiques permettant d’accéder au jeu original et de le contrôler de façon efficace.
Le document se termine par un court chapitre intitulé “Accessibilité et Société” dans lequel nous discutons de l’accessibilité dans la société française d’aujourd’hui, et des forces et limites des outils techniques pour faire avancer l’idée de l’accessibilité. L’accessibilité, dans tous les domaines, permet non seulement d’améliorer la vie des personnes en situation de handicap, en leur permettant d’accomplir de façon autonome des actes qui leur demandait auparavant une assistance permanente, mais aussi d’améliorer la vie de chacun, par une meilleure adaptation des outils aux personnes et aux ressources disponibles. Il est bien évident que l’existence d’outils accessibles n’est pas suffisant pour rendre la société plus accessible, mais c’est une condition nécessaire et nous croyons qu’ils y contribuent.